Mon
ami tunisien m’avait prévenu (témoignage du 14 avril) : l’une des
mesures phares prévues par la nouvelle constitution est éminemment
révolutionnaire : en Tunisie aussi, la femme est l’avenir de l’homme.
Cette parité est une première dans le monde arabo-musulman. Je publie
ici l’article du professeur Larguèche, membre de la haute instance pour la réforme politique en Tunisie, haute
instance mise en place par la révolution.
La Tunisie institue la parité hommes-femmes en politique
Par le professeur Abdelhamid Larguèche.
Petit pays, grande nation : en
votant la loi sur la parité hommes-femmes pour la Constituante, j’ai eu
l’intime conviction que nous nous sommes projetés dans le futur en
enjambant d’un seul pas une ligne jugée par beaucoup infranchissable.
Et, pourtant, pourtant nous l’avons franchie, pour prouver à nous-mêmes
d’abord, puis aux autres ensuite, que la Tunisie méritait bien une
révolution.
Ce n’est pas un
hasard si la femme a constitué depuis plus d’un siècle l’enjeu et le
pivot de toutes les modernités : scolarisation des filles dans les écoles
franco-arabes donnant au pays ses premières femmes médecins, ses
premières institutrices et ses militantes de première heure, réformisme
tunisien de première heure s’exprimant en faveur de l’émancipation des
filles musulmanes par l’éducation chez les jeunes Tunisiens, puis avec
vigueur et détermination avec Tahar Haddad[1]. Puis vint le temps de l’indépendance et des
grandes réformes instituant l’État national, avec comme grande première
réforme le Code du statut personnel, dès 1956, bien avant la République,
pour annoncer la vocation moderniste d’une société qui n’avait d’autre
choix pour se développer que d’émanciper ses femmes.
La parité gagnée hier lors d’une séance
émouvante, gagnée à l’arraché, à main levée, était le premier geste qui
montre que nous étions, femmes et hommes, les dignes héritiers de
Haddad, de Thaalbi[2] et
de Bourguiba.
À ceux qui
disent que cette loi est peut-être en avance sur les réalités encore
précaires et fragiles, je dirais : c’est à la société de s’adapter à ses
nouvelles lois. De tout temps, la Tunisie s’est affirmée en se
surpassant, en abolissant l’esclavage avant bien d’autres pays en
Occident même, en se dotant d’une constitution bien avant des pays et
des continents, en faisant de sa Zaytouna[3], de son collège Sadiki[4], de sa Khaldouniya[5] des
foyers de lumière pour tous les peuples du Grand Maghreb, en abolissant
la polygamie, en criant haut et fort que l’Islam signifie liberté et
égalité.
En instituant la
parité des droits en politique, nous disons simplement : femmes
de Tunisie, vous avez guidé une révolution, guidez le peuple vers plus
de lumière, vers plus de liberté.
[1] L'un des fondateurs de la
Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT), en 1924.
[2] Fondateur du Destour en 1920.
[3] Grande université islamique qui
forma des générations de savants. (4) Premier lycée secondaire moderne
de Tunisie fondé en 1875.
[4] Premier
lycée secondaire moderne de Tunisie fondé en 1875.
[5] Première école moderne de Tunisie
fondée en 1896.